Matisse et Marguerite : le regard d’un père au Musée d’Art Moderne de Paris
Du 4 avril au 24 août 2025
Henri Matisse, Intérieur à la fillette (La Lecture), Paris, quai Saint-Michel, automne-hiver 1905-1906, Huile sur toile, 72,7 x 59,7 cm, New York, The Museum of Modern Art, Don de Monsieur et Madame David Rockefeller, 1991. Crédit : Digital image, The Museum of Modern Art, New York / Scala, Florence
Le Musée d’Art Moderne de Paris consacre une exposition inédite à la relation entre Henri Matisse (1869–1954) et sa fille Marguerite Duthuit-Matisse (1894–1982), figure discrète mais centrale dans la vie et l’œuvre du peintre. Intitulée Matisse et Marguerite : le regard d’un père, l’exposition réunit un ensemble de portraits, dessins, gravures, et céramiques qui donnent à voir un Matisse plus intime, en constante recherche artistique, à travers la figure de sa fille aînée, à la fois modèle, confidente et collaboratrice.
Une relation fondatrice
Marguerite est la fille de Caroline Joblaud, le premier modèle de Matisse. Non reconnue à sa naissance, elle le sera par son père vers l’âge de deux ans. Très tôt, Marguerite est au cœur de la vie de Matisse, aussi bien familiale qu’artistique. Sa santé fragile, elle subit une trachéotomie enfant à la suite d’une diphtérie, l’éloigne de l’école, mais renforce sa proximité avec ses parents et grands-parents, qui assurent son éducation. Matisse, père attentionné mais exigeant, voit en elle une enfant courageuse, une présence à la fois inspirante et essentielle.
L’exposition s’ouvre sur un portrait peint en 1901, alors que Marguerite a sept ans. Son teint pâle, son attitude figée et la frontalité de la pose témoignent de la fragilité de l’enfant. La composition sobre rappelle les portraits de Madame Cézanne, que Matisse admire profondément. Cet attachement à Marguerite, visible dès les débuts, traverse toute la carrière du peintre.
Le modèle et le peintre
À travers de nombreuses représentations de Marguerite, l’exposition explore l’évolution stylistique de Matisse. En 1906, Intérieur à la fillette montre la petite fille absorbée par sa lecture, dans un décor éclatant typique du fauvisme. Marguerite, presque dissimulée dans un flot de couleurs vives, devient ici prétexte à l’expérimentation picturale. En contraste, le tableau Marguerite lisant de l’été 1906 la remet au centre de la composition : la figure prend le pas sur le décor, révélant un véritable portrait. Cette alternance entre effacement et présence souligne l’ambivalence du rôle de Marguerite, à la fois sujet et support de création.
Matisse ne peint pas sur commande. Pour lui, il est essentiel de connaître son modèle. C’est cette relation affective avec Marguerite qui lui permet de varier les approches : portraits aux traits simplifiés, dessins d’un seul trait, gravures détaillées, huiles sur toile ou encore peintures sur céramique. À travers ces multiples formats, le visiteur découvre le travail préparatoire du peintre, ses doutes, ses recherches, et surtout son attachement profond à sa fille.
Portraits en variation
Certains portraits marquent un tournant. Portrait de Marguerite (1907), par ses couleurs froides, montre une enfant plus âgée que son âge réel, comme prématurément mûrie. Des zones laissées vierges et une apparente inachèvement témoignent d’une réflexion poussée sur la composition et le rôle du vide dans l’œuvre picturale. Le vide devient aussi important que le plein, le blanc aussi essentiel que la couleur.
Un autre portrait de Marguerite peint la même année se distingue par sa sobriété : robe verte, fond doré, prénom inscrit maladroitement au-dessus de la tête. Ce tableau, choisi par Picasso dans un échange d’œuvres avec Matisse, témoigne de l’estime mutuelle entre les deux artistes. Aujourd’hui conservé au musée Picasso, l’artiste cubiste l’avait conservé toute sa vie.
L’exposition met aussi en lumière des œuvres plus audacieuses, comme Tête blanche et rose (1914), où le visage de Marguerite est structuré par des rayures verticales. Matisse, influencé par le cubisme, simplifie les formes et joue avec la lumière. Les années 1915 et 1916 marquent pour Matisse une période d’expérimentation picturale intense et audacieuse, au cours de laquelle il s’éloigne plus que jamais de la représentation réaliste.
Une figure familière
Au fil des années, Marguerite grandit, et son rôle change. À partir de 1918, elle entame sa propre vie sociale, tout en restant proche de son père. Matisse continue de la peindre, notamment à Nice, où il s’installe. Mademoiselle Matisse en manteau écossais (1918) et Portrait de Mademoiselle Matisse (1918) montrent une même pose, mais un traitement du décor radicalement différent. Alors que, dans le premier tableau, Matisse représente Marguerite assise sur un balcon, un livre ouvert posé sur ses jambes, avec le quai et le ciel en arrière-plan, il choisit, dans le second, d’éliminer les détails pour recentrer l’attention sur la figure de Marguerite, désormais isolée sur un fond bleu nuit. Ce second tableau, accroché au-dessus du lit de Matisse dans son appartement parisien, lui était très cher. C’est Marguerite elle-même qui l’encouragera à le vendre pour qu’il soit intégré à une collection japonaise.
D’autres tableaux révèlent l’intimité du lien père-fille : Le Thé (1919), par exemple, montre Marguerite entourée, mais seule figure nette dans une scène aux contours flous. Un visage mal dessiné, comme si Matisse, malgré sa proximité, avait du mal à la représenter à ce moment de sa vie. C’est elle qui capte toute l’attention du regard, qui devient le point focal de l’œuvre.
Au-delà du modèle : Marguerite actrice de l’œuvre
Depuis la Seconde Guerre mondiale, la chirurgie a connu des progrès considérables. En 1920, Marguerite subit deux opérations qui la libèrent enfin de son problème de santé. Ce tournant marque le début d’un engagement plus personnel dans le monde de l’art : Marguerite ne se contente plus d’être modèle. Elle tente elle-même la peinture dans les années 1920, avec un certain succès, avant d’abandonner. Son rôle le plus marquant reste celui d’agent artistique de son père. Elle participe à l’édition de ses ouvrages, à l’organisation d’expositions, au dialogue avec les collectionneurs. Cette influence discrète mais décisive est enfin mise en lumière à travers cette exposition.
Les années 1930 et 1940 sont plus difficiles. Marguerite traverse des périodes d’instabilité personnelle et économique. Mariée à l’historien de l’art Georges Duthuit, elle donne naissance à un fils, Claude. En raison de sa fragilité psychologique (Marguerite souffre de dépression), l’enfant passe beaucoup de temps auprès de ses grands-parents, notamment Henri Matisse, qui s’attache profondément à lui. Le peintre réalise plusieurs portraits de son petit-fils, dont certains sont présentés dans l’exposition. Durant la Seconde Guerre mondiale, Marguerite s’engage dans la résistance. Arrêtée en 1944, elle ne retrouve son père qu’en 1945 à Cannes.
Une plongée dans l’intime
Matisse et Marguerite : le regard d’un père offre une entrée originale dans l’œuvre de Matisse, à travers un prisme personnel et affectif. L’exposition dévoile non seulement un pan moins connu de la vie du peintre, mais aussi le rôle essentiel qu’a joué Marguerite dans la construction et la diffusion de son œuvre. D’abord modèle privilégié, puis véritable agent artistique de son père, Marguerite Matisse a largement contribué à faire connaître et reconnaître l’œuvre de son père.
Article rédigé par Marie Naudy
Conseil en Investissement dans l'Art
En tant que cabinet de gestion de patrimoine, nous accompagnons nos clients dans la construction et la préservation de leur patrimoine. L'art, en tant qu'actif à part entière, offre une opportunité unique de diversification, alliant performance financière et plaisir personnel. Forts de notre expertise, nous aidons nos clients à naviguer dans ce marché fascinant, en veillant à intégrer l'art de manière judicieuse dans une stratégie patrimoniale globale et sur-mesure, pour une gestion durable et alignée avec leurs objectifs financiers et personnels.