L’art est dans la rue au Musée d’Orsay
Du 18 mars au 06 juillet 2025
Théophile Alexandre Steinlen (1859-1923), Imprimerie Charles Verneau (Paris), affiches Charles Verneau, « La Rue », 1896, lithographie en couleurs, 240 × 300 cm, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Estampes et de la photographie, Photo BnF, Service presse / Musée d’Orsay
Du 18 mars au 6 juillet 2025, le musée d’Orsay consacre une grande exposition à l’affiche illustrée de la fin du XIXe siècle, en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France. À travers une centaine d’œuvres, cette exposition revient sur l’âge d’or de ce médium omniprésent, à la croisée de l’art, de la publicité, du spectacle et de l’espace urbain.
Une histoire imprimée sur pierre
L'affiche moderne émerge au croisement de plusieurs révolutions : techniques, artistiques, industrielles et sociales. Si l’affichage public existe depuis le Moyen Âge, en témoignent les ordonnances royales apposées dans les rues dès le règne de François Ier, ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle, avec l’invention de la lithographie par Aloys Senefelder, que l’image s’impose dans l’espace public.
À partir des années 1860, Jules Chéret (1836-1932) révolutionne le genre en fondant son propre atelier de lithographie à Paris. Il perfectionne l’impression en couleurs, rendue possible par le passage successif de plusieurs pierres lithographiques. Chéret révolutionne le genre en le sortant de la monochromie mais également en y introduisant du mouvement, et surtout la figure de la femme joyeuse, séduisante, et parfois érotisée : les fameuses « Chérettes ».
La création d’une affiche repose sur une chaîne complexe de métiers : dessinateur, écrivain-lithographe, imprimeur… La technique repose sur le principe de répulsion entre l’eau et un corps gras, chaque couleur nécessitant l’application d’une pierre distincte. Des ateliers spécialisés, comme celui de Chéret ou de l’imprimeur Bouchon (venu du papier peint), produisent des tirages massifs destinés à couvrir les murs de la capitale. Le phénomène donne naissance à une véritable culture visuelle de masse.
L’affiche transforme la ville
L’affiche s’impose progressivement comme un élément constitutif du paysage urbain. Elle colonise les murs, les palissades de chantier, les kiosques à journaux et, à partir de la fin des années 1860, les célèbres colonnes Morris, spécialement conçues pour un affichage rotatif, notamment destiné à la publicité théâtrale. L’arrivée du métro en 1900 amplifie encore sa visibilité. Les quais de métro deviennent des lieux d’affichage particulièrement pertinents : éclairés, conçus pour un public présent en continu et en situation d’attente captive.
Cette mutation de l’espace urbain suscite cependant débats et résistances. Si certains y voient un enrichissement esthétique, une introduction de la couleur dans la ville, d’autres dénoncent une atteinte au bon goût et à l’ordre urbain. Charles Garnier (1825-1898), architecte de l’Opéra de Paris, écrira un article publié dans la Gazette des Beaux-Arts en 1871, « Les affiches agaçantes », : « Ces grandes pancartes industrielles [...] nous gâtent tant de belles vues de notre cité ! » Il dénonce le contraste entre les strictes règles imposées aux architectes et le laxisme laissé aux afficheurs, qu’il accuse de « déshonorer » la ville.
L’affiche, reflet de la société moderne
L’affiche est aussi un témoignage précieux des mutations de la société. L’essor du commerce, le développement du crédit, la naissance des grands magasins, comme La Belle Jardinière ou Les Classes Laborieuses, modifient les modes de consommation. L’affiche devient le vecteur d’une publicité moderne, capable de séduire, de faire rêver, mais aussi d’inciter à la dépense.
L’affiche publicitaire promeut les loisirs comme les spectacles et le théâtre, mais aussi le crédit à la consommation, qui rend accessibles à la classe ouvrière des biens autrefois réservés à la bourgeoisie. Elle fait également la promotion de produits moins vertueux comme les spiritueux ou les cigarettes.
Elles exploitent l’image de la célébrité comme Sarah Bernhardt ou Aristide Bruant, ou de l’enfant, figure d’innocence et levier commercial auprès d’un public féminin attentif aux questions d’hygiène. On y joue sur les émotions, les couleurs, la psychologie du consommateur. Ces affiches s’adressent bien souvent explicitement aux femmes, principales gestionnaires du budget du foyer. L’affiche reflète une société en pleine mutation, entre promesse de progrès et zones d’ombre morales.
La figure de la femme à travers l’affiche
Figure centrale de l’affiche illustrée, la femme est souvent idéalisée, sexualisée, fantasmée. Chez Chéret, elle est légère et aguicheuse. Ses célèbres Chérettes dansent, rient et vous regardent avec malice. Chez Mucha (1860-1939), la figure de la femme devient mystique, parfois envoûtante.
Force est de constater que la majorité des affichistes sont de sexe masculin. Quelques exceptions notables apparaissent : Jane Atché (1872-1937), par exemple, propose une image de la femme bien différente – sérieuse, élégante, intellectuelle. En témoigne son affiche représentant une femme fumant, exposée à côté des affiches de Jules Chéret et Alphonse Mucha où l’on voit plutôt des femmes séduisantes et sexualisées.
Plus discrète encore, Clémentine-Hélène Dufau (1869-1937) trace son chemin dans un univers d’hommes. Ces rares affichistes féminines se confrontent aux codes dominants et offrent un contre-regard sur le genre. L’affiche reflète ainsi les débats sur les rôles des hommes et des femmes, à une époque où ceux-ci sont en train de changer.
L’affiche comme art à part entière
L’affichomanie atteint son apogée dans les années 1880. L’affiche cesse d’être un simple support publicitaire pour devenir un véritable objet d’art à collectionner. Des passionnés organisent des expositions, comme celle d’Affiches artistiques françaises et étrangères, modernes et rétrospectives, tenue au Cirque de Reims en 1896. Des librairies spécialisées, telles que la librairie Sagot, commercialisent des affiches originales et publient des catalogues dédiés. Enfin, des revues comme La Plume organise des salons, notamment les Salons des Cent, qui réunissent des artistes majeurs tels que Bonnard, Ensor ou Mucha.
L’affiche gagne en prestige à partir de 1890, année où Jules Chéret est décoré de la Légion d’honneur, tandis que des artistes de l’avant-garde, comme Toulouse-Lautrec, Mucha, Grasset, ainsi que les Nabis Bonnard, Vuillard et Vallotton, investissent ce médium. Elle devient alors un terrain d’expérimentation graphique, un laboratoire d’idées, et un moyen de faire tomber la frontière entre arts majeurs et arts appliqués.
Un art social et politique
Loin d’être seulement décorative, l’affiche se veut aussi engagée. Jules Grandjouan (1875-1968), illustrateur et militant socialiste, met son art au service des luttes sociales. D'autres dénoncent les méfaits de l’alcoolisme (affiche L’absinthe, c’est la mort du pasteur Monod) ou promeuvent les idéaux républicains. L’affiche électorale, l’affiche syndicale, l’affiche de propagande s’inscrivent pleinement dans le champ politique.
Dans le même temps, le cadre légal se durcit. La loi du 29 juillet 1881 impose des restrictions sur l’affichage, interdisant par exemple d’en coller sur les édifices religieux ou patrimoniaux. L’État, les villes et des sociétés privées réglementent les supports, fixent des taxes (timbres fiscaux), et professionnalisent la filière.
Conclusion : Une exposition au croisement des regards
L’exposition met en lumière un patrimoine souvent fragile et éphémère. Témoins de leur temps, les affiches ont échappé à l’oubli grâce à la passion de collectionneurs et à la reconnaissance tardive de leur valeur artistique. L’art est dans la rue est à la fois une plongée dans l’histoire de la modernité urbaine et un hommage aux artistes qui ont fait de l’affiche un art à part entière. Une invitation à regarder autrement nos murs et notre passé.
Article rédigé par Marie Naudy
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