Pierre Soulages. La rencontre, au musée Fabre de Montpellier

Du 4 avril au 24 août 2025

Vernissage de l’exposition Pierre Soulages. La rencontre, au musée Fabre. Crédit : Cécile Marson / Montpellier Ville et Métropole.

Le musée Fabre consacre une grande exposition à Pierre Soulages, figure incontournable de l’art moderne, maître du noir et de la lumière. L’exposition retrace les grandes étapes de la carrière de l’artiste, de ses premières recherches avec le brou de noix à ses célèbres « Outrenoirs ». À travers un parcours riche d’œuvres emblématiques et de confrontations inédites avec des artistes comme Jean-Paul Riopelle, Simon Hantaï ou encore Rembrandt, l’exposition explore les multiples facettes d’un peintre qui n’a eu de cesse de renouveler la peinture.

Une enfance marquée par la lumière et la matière

Né en 1919 à Rodez, Pierre Soulages grandit dans un environnement modeste, marqué par la nature, les objets artisanaux et l’architecture médiévale. La mort de son père, alors qu’il n’a que cinq ans, et la présence forte de sa mère influencent son regard. À 12 ans, une visite à l’abbatiale de Conques provoque en lui un véritable « choc visuel » : l’équilibre entre la pierre brute et la lumière l’impressionne durablement. Cette révélation précoce nourrira toute sa réflexion future sur la matière, la lumière et l’espace.

Admis aux Beaux-Arts de Paris en 1938, il rejette rapidement l’enseignement académique et préfère se former dans les musées et les galeries. Cézanne, Picasso ou encore les arts premiers élargissent son champ d’inspiration. Pendant la guerre, il s’installe à Montpellier où il rencontre Colette Llaurens, sa future compagne, et s’ancre définitivement dans une voie singulière.

Ses premières œuvres en brou de noix

Dès les années 1940, Soulages se tourne vers le brou de noix, un matériau modeste issu du monde rural. Il y explore les transparences, les contrastes et les accidents de matière, faisant émerger une lumière presque physique. Une de ses œuvres au brou de noix est repérée dès 1948 par les organisateurs d’une exposition internationale d’art abstrait en Allemagne, un moment clé dans sa reconnaissance.

Refusant la figuration, il s’attache à un langage plastique radical où la matière devient expressive. Il travaille au racloir, au couteau, à la brosse, révélant des rythmes profonds, parfois imprévus. Cette approche gestuelle et intuitive participe au renouvellement de la peinture d’après-guerre, et le place très tôt sur la scène internationale. Entre 1956 et 1963, ses toiles gagnent en épaisseur et en intensité : les masses sombres y dialoguent avec la lumière, déjà perçue comme une matière à part entière.

Une œuvre architecturée, entre peinture et sculpture

Soulages conçoit ses toiles comme des constructions. Le rythme des formes, la tension entre les pleins et les vides, donnent à son travail une rigueur presque architecturale. Il ne peint pas des images, mais organise des espaces. L’usage d’outils élargis, racloirs, brosses industrielles, couteaux, dépasse la simple trace picturale et flirte avec la sculpture.

Ses grands formats et polyptyques se déploient dans l’espace comme des murs visuels. Certaines œuvres imposent une présence physique, engageant le spectateur dans un rapport frontal. Cette dimension architectonique s’exprimera pleinement dans le projet des vitraux de Conques, où Soulages marie peinture, lumière et espace dans une œuvre totale.

Rencontres et influences artistiques

Soulages n’a jamais appartenu à un courant, mais a tissé des liens profonds avec des artistes partageant sa quête d’un langage pictural autonome. Dès 1947, il rencontre Hans Hartung, avec qui il entretient un dialogue durable autour de la matière et du geste. Il se rapproche aussi de l’univers d’Anna-Eva Bergman, compagne de Hartung, dont les paysages mentaux et les formes épurées font écho à son propre travail.

L’exposition met en lumière ces affinités à travers un dialogue visuel avec Simon Hantaï, maître du pliage et de l’alternance vide/plein, et Jean-Paul Riopelle, dont la peinture à la truelle fait vibrer la surface dans un éclat de matière sombre. Pierrette Bloch, proche de Soulages, témoigne elle aussi d’un rapport intime à la trace et à la répétition. Enfin, Zao Wou-Ki, rencontré lors d’un voyage au Japon en 1958, partage avec lui l’intérêt pour la calligraphie, l’espace mental et une abstraction inspirée par l’Orient.

Le noir en dialogue avec l’histoire de l’art

Soulages n’a jamais rompu avec l’histoire de la peinture. Bien au contraire, son œuvre s’inscrit dans un dialogue silencieux avec les maîtres anciens. Il admire Rembrandt, Zurbarán, Goya : des peintres pour qui l’ombre n’est jamais vide, mais chargée de sens. À leur manière, ils révèlent la lumière à travers l’obscurité. Soulages renverse cette logique : il utilise le noir pour créer de la lumière.

L’exposition évoque aussi l’écho de Vincent van Gogh, notamment dans sa capacité à faire vibrer la matière pour faire surgir la lumière. Le rapport de Soulages au clair-obscur est ainsi totalement renouvelé : la lumière ne vient pas éclairer la forme, elle est produite par la surface noire elle-même. En cela, Soulages redéfinit un héritage, et fait entrer l’abstraction dans une histoire picturale millénaire.

La révélation de la lumière noire : naissance de l’Outrenoir

En 1979, une bascule fondamentale s’opère. En travaillant une toile uniformément noire, Soulages découvre que la lumière se reflète différemment selon les stries, les textures, les formes. Il ne s’agit plus de représenter, mais de faire vivre la lumière à travers la surface noire. Il invente le terme d’Outrenoir pour désigner ce nouveau territoire : ni noir, ni couleur, mais un espace où la lumière est générée par la matière elle-même.

Dans ces œuvres, la peinture devient un miroir changeant : selon l’angle, l’heure, l’intensité de la lumière, la toile se transforme. L’Outrenoir est un champ d’expérience sensorielle, où l’œuvre devient presque vivante. Pour Soulages, « c’est ce que je fais qui m’apprend ce que je cherche » : une recherche toujours ouverte.

Le rapport à l’espace : peindre pour le lieu

Chez Soulages, l’œuvre n’est jamais isolée : elle est pensée pour l’espace qu’elle habite. Dès les années 1950, il expose ses toiles en polyptyques, qui modifient la perception du spectateur. Dans ses grands formats, le regard est invité à circuler. L’installation n’est pas un détail, mais une composante essentielle.

Les vitraux de Conques incarnent cette attention extrême au lieu. Soulages travaille la lumière naturelle, le rythme architectural, le silence du lieu. Il ne s’agit plus d’imposer une œuvre, mais de l’inscrire dans une respiration commune avec l’espace. Cette approche environnementale fait de Soulages un artiste visionnaire, bien avant que l’art contemporain ne s’empare pleinement de la relation à l’environnement.

Conclusion

À travers un parcours dense, l’exposition du musée Fabre met en lumière l’extraordinaire cohérence du travail de Pierre Soulages, ainsi que sa capacité à se réinventer. De la matière noire du brou de noix aux jeux lumineux de l’Outrenoir, en passant par ses affinités artistiques et son dialogue constant avec l’histoire de l’art, Soulages construit une œuvre qui dépasse les catégories. Peinture, sculpture, architecture, spiritualité : chez lui, tout converge vers une expérience sensible où la lumière devient présence, et le noir, une ouverture.

Article rédigé par Marie Naudy

 

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