Tous Léger au Musée du Luxembourg
Du 19 mars au 20 juillet 2025
Fernand Léger (1881-1955), Les Quatre Cyclistes, 1943-1948, huile sur toile, Donation de Nadia Léger et Georges Bauquier en 1969, Biot, musée national Fernand Léger
Le Musée du Luxembourg met à l'honneur Fernand Léger (1881-1955), figure majeure de l’avant-garde du XXe siècle, à travers l’exposition Tous Léger, à découvrir du 19 mars au 20 juillet 2025. À travers une centaine d'œuvres, cette rétrospective établit un dialogue fascinant entre les créations de Léger et celles des artistes qu’il a profondément inspirés, notamment les Nouveaux Réalistes tels que Niki de Saint Phalle, Arman, César ou encore Yves Klein. Bien que Léger n'ait jamais rencontré ces artistes, sa démarche innovante et son audace à rompre avec les conventions ont largement marqué leur vision de l’art. Sa peinture, aux couleurs éclatantes, sublime les objets du quotidien et invite à la joie de vivre. Sous des apparences simples, son œuvre porte des messages profonds, faisant écho à la modernité et aux classes populaires.
Fernand Léger, un artiste inclassable
Fernand Léger se distingue par son approche unique de la peinture, qui le place à la croisée de multiples courants artistiques majeurs, tels que le dadaïsme, le cubisme et le surréalisme, tout en échappant à toute classification stricte. Son œuvre, marquée par une utilisation audacieuse de la couleur et des formes simplifiées, se veut un véritable hommage à la modernité et à la vie quotidienne. En réintégrant des objets de la vie de tous les jours et des éléments de la culture populaire dans son travail, Léger parvient à les élever au rang d'œuvres d'art, leur accordant une nouvelle dimension esthétique. L’artiste cherche à s'affranchir des conventions de l’art académique et à rendre l'art accessible à tous. Pour lui, l’art ne doit pas être réservé à une élite, mais doit s’adresser au plus grand nombre. Loin de l’intellectualisation de l’art, Fernand Léger explore des sujets universels dans une démarche ludique, tout en restant profondément accessible. Ses œuvres, caractérisées par une palette éclatante et des thèmes parlants, ont su créer un art à la fois vivant, inclusif et porteur de sens.
Les cinq éléments
L’exposition s’ouvre avec une exploration des cinq éléments : la terre, l’eau, l’air, le feu et l’éther, chacun étant représenté à travers une œuvre de Fernand Léger, mise en dialogue avec une œuvre d’un artiste qu’il a inspiré. Cette première salle propose une réflexion sur la manière dont Léger a réinventé des thèmes classiques pour les rendre contemporains, abordant dès lors des questions qui résonnent avec des préoccupations actuelles, comme l’écologie. L’élément de l’eau est illustré par La Baigneuse peinte par Fernand Léger en 1932, une réinterprétation d’un sujet traditionnel, mais ici le corps féminin est placé au second rang pour laisser place à la couleur et les lignes. Le sujet de la baigneuse devient ainsi un prétexte, un support qui permet à Léger d'explorer avant tout sa pratique artistique. Cette œuvre dialogue avec La Source d’Alain Jacquet (1965-2003), qui à son tour réinterprète l’œuvre de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), La Source (1856), en sérigraphie, une technique permettant une reproduction rapide et infinie, contrastant avec la minutie d'Ingres, peintre néoclassique. Jacquet joue avec l’idée de reproductibilité, où l’œuvre perd son caractère unique, et ainsi rend l’art plus accessible au grand public, tout en rendant hommage à l’histoire de l’art.
L’élément de l’eau est abordé par Yves Klein (1928-1962), qui revisite la célèbre Vénus de Milo en la peignant entièrement en bleu, une couleur qu'il associe au cosmique et à la représentation de l’univers. Bien que souvent perçu comme un artiste abstrait, Klein se considérait lui-même comme un peintre réaliste, estimant que la couleur pouvait incarner le réalisme, et que le réalisme pouvait se résumer à travers la couleur. L’élément de l’air est quant à lui illustré par Arman (1928-2005), membre des Nouveaux Réalistes, un mouvement artistique des années 1960 qui s’est caractérisé par un discours profondément politique, remettant en question la définition de l’art tout en s’affranchissant des frontières traditionnelles et en critiquant la société de consommation. Dans son œuvre The Birds (1981), Arman accumule des pinces, objets de l’artisanat populaire, et les transforme en une œuvre d’art. Détournés de leur fonction utilitaire, ces objets issus de la culture populaire prennent une dimension esthétique, questionnant ainsi notre rapport à l’art et dénonçant la société de consommation.
Le thème des Cinq éléments permet également aux artistes de faire passer un message écologique, rappelant que la nature est primordiale et doit être protégée. Ainsi, l’artiste Christo (1935-2020), qui représente la terre, emballe des forêts, nous incitant à prendre soin de notre environnement. Quant à Yves Klein, il crée des troncs d'arbres peints en bleu, leur donnant une dimension cosmique et nous rappelant leur rareté, leur supériorité et la nécessité de les protéger.
L’objet élevé au rang d’œuvre d’art
Fernand Léger a souvent bousculé les conventions de l’art en élevant des objets du quotidien au rang d’œuvres artistiques, invitant ainsi à repenser ce qui est ou n’est pas de l’art. Une illustration de cette démarche se trouve dans sa célèbre œuvre La Joconde au trousseau de clés (1930), où il juxtapose un trousseau de clés, un objet du quotidien que chacun a dans sa poche, avec La Joconde de Léonard de Vinci (1452-1519), icône de l’histoire de l’art. Léger lui-même dira : « J'avais fait sur une toile un trousseau de clés. ...Il me fallait quelque chose d'absolument contraire aux clés...qu'est-ce que je vois dans une vitrine ? Une carte postale de la Joconde ! J'ai compris tout de suite : c'est elle qui me fallait, qu'est-ce qui aurait pu contraster plus avec les clés ? » Le contraste entre La Joconde, symbole universellement reconnu de l’histoire de l’art, et un simple trousseau de clés interroge la hiérarchie traditionnelle des objets et de l'art. Pour Léger, l'objet du quotidien, en l’occurrence la clé, qui évoque des notions d’ouverture et d’intimité, peut tout à fait avoir une présence artistique. En l’incluant dans sa toile, Léger nous invite à reconsidérer ce qui constitue un objet d’art et pourquoi des objets aussi banals que des clés ne pourraient pas en faire partie.
Cette réflexion sur l’objet du quotidien comme œuvre d’art se retrouve également dans l'œuvre de Raymond Hains (1926-2005), Seita (1970), présentée dans l’exposition. Dans cette œuvre, Hains représente des allumettes géantes, un objet aussi insignifiant et quotidien que le trousseau de clés de Léger, mais qui prend ici une dimension monumentale et artistique. Le décalage de taille, accentué par une représentation d’une ville qui apparaît comme minuscule, interroge à son tour notre perception des objets. Hains questionne les frontières de l’art, s’inspirant du travail de Claes Oldenburg (1929-2022), célèbre pour ses répliques monumentales d’objets de la vie quotidienne.
D’autres artistes présents dans l’exposition participent également à cette réflexion. Daniel Spoerri (1930-2024), avec ses "tableaux pièges", invite à une nouvelle façon de voir l’art et la vie. Dans Palette Katharina Duwenn (1989), il nous oblige à changer de perspective en représentant une chaise et une table, objets symbolisant l’école, de manière renversée. Spoerri suggère ici que l’éducation ne se trouve pas uniquement dans les institutions académiques, mais qu’elle peut aussi résider dans les expériences de la vie quotidienne.
May Wilson (1905-1986), quant à elle, place des objets typiques de la vie d'une femme au foyer, comme des balais, des ampoules ou des râpes à fromage, dans des boîtes. En leur conférant une valeur artistique, elle critique la manière dont la société réduit les femmes aux foyers à des rôles domestiques, tout en valorisant leur contribution essentielle à la vie quotidienne. La laque dorée ou argentée qui recouvre ses œuvres peut être vue comme une métaphore de la "prison dorée", symbolisant la condition des femmes souvent confinées dans des rôles subordonnés.
L’art c’est la vie
L’art de Fernand Léger s’inscrit dans une vision profondément humaine de l'art, où le quotidien devient un terrain fertile pour l’expression artistique. En affirmant que « l’art, c’est la vie », Léger montre que la beauté réside partout, y compris dans les scènes de vie les plus banales. Cette idée se reflète dans son œuvre, où il sublime la vie quotidienne et célèbre les plaisirs populaires. Cette approche s’inscrit dans une période où les loisirs prennent de plus en plus d’importance et sont plus accessibles, notamment avec la mise en place des congés payés dans les années 1930. L’arrivée du Front Populaire en 1936, dirigé par Léon Blum, a permis aux classes populaires d’accéder aux vacances, un moment longtemps réservé à une élite. Fernand Léger illustre cette révolution sociale en représentant une famille ouvrière partant en vacances, un sujet alors inédit dans l’art. Ce thème est traité sur un format monumental, traditionnellement réservé aux scènes historiques ou mythologiques. Léger accorde ainsi une légitimité artistique aux classes populaires, qui façonnent la société et l’histoire politique. Cette démarche s’inscrit dans la lignée des impressionnistes, notamment Gustave Caillebotte (1848-1894), qui, dans son œuvre Les Raboteurs de parquet (1875), s’était attaqué à représenter la condition ouvrière sur une toile de grand format, leur accordant une place digne d’être représentée comme figure de l’Histoire.
Fernand Léger s’attache à représenter une réalité à la fois sociale et moderne, où les scènes du quotidien et les objets de tous les jours trouvent leur place dans des représentations artistiques. Le vélo, en tant que symbole de la modernité, de l’évolution sociale et des loisirs populaires, occupe une place majeure dans l’œuvre de l’artiste. Accessible à un large public, Fernand Léger le représente pour évoquer à la fois les progrès sociaux et technologiques, mais également les loisirs et les plaisirs de la vie. Dans l’œuvre Les Quatre Cyclistes (1943-1948), Léger se sert du vélo pour expérimenter une nouvelle technique appelée la « couleur en dehors », où les couleurs s’affranchissent des contours et des traits. Les couleurs primaires vives (rouge, bleu, jaune) qu’il utilise symbolisent la vivacité, la rapidité et la joie de vivre, tout en accentuant le dynamisme et la modernité du sujet. Le traitement géométrique des corps et des vélos, réduits à de simples formes, fait sans nul doute écho au mouvement cubiste. Ces œuvres font écho à la vision d’un monde en mouvement, où le quotidien et les objets populaires ont une place légitime dans l’art.
Cette vision de l’art comme expression de la vie quotidienne et de la modernité sera aussi explorée par d’autres artistes, comme Karel Appel (1921-2006). Membre du groupe Cobra (Copenhague, Bruxelles, Amsterdam), Karel Appel crée un art où la couleur et la gestuelle expressive viennent retranscrire une certaine forme de liberté. Influencé par l’art naïf, ses œuvres très colorées et joyeuses se rapprochent d’un art presque enfantin. Dans cette même dynamique, Niki de Saint Phalle (1930-2002), avec ses Nanas, incarne une forme de liberté joyeuse et émancipatrice, loin des standards de beauté traditionnels. Ces figures féminines généreuses et éclatantes, incarnant l’opulence et la liberté jubilatoire, célèbrent l’existence dans sa forme la plus joyeuse, faisant de l’art un moyen d’exprimer la liberté, l’égalité et la tolérance.
Un art accessible
Fernand Léger a toujours cherché à rendre l’art accessible à tous, une mission qu’il a menée à bien à travers ses choix de sujets et ses innovations stylistiques. En choisissant de représenter des scènes de la vie quotidienne, des objets populaires et des thèmes sociaux, Léger a voulu s’éloigner des traditionnels sujets académiques et rendre l’art plus proche des gens. Par l’usage de couleurs vives et éclatantes, il a brisé le côté solennel et réservé de l’art classique, en faisant de la couleur un moyen d'illuminer le quotidien et de célébrer la joie de vivre. Dans cette perspective, Léger a notamment reçu une commande du Gaz de France pour décorer les bâtiments. Bien qu’il n'ait pas pu terminer cette commande avant sa mort, sa femme Nadia Léger a pu finaliser son œuvre à partir de ses dessins préparatoires. Deux dessins sont ainsi présents dans l’exposition, rappelant au spectateur la volonté de l’artiste de faire sortir l’art des musées pour le rendre accessible à tous, égayant par la même occasion les lieux de travail parfois austères des ouvriers.
Dans le même esprit, Jacques Villeglé (1926-2022), artiste majeur du mouvement des Nouveaux Réalistes, a critiqué l’accessibilité inégale de l’art et la société de consommation. Connu pour ses affiches lacérées, Jacques Villeglé déchirait des affiches publicitaires qu’il recollait ensuite sur ses toiles. Par cet acte, l'affiche publicitaire, omniprésente dans l’espace public, intègre les musées. Villeglé critique le fait que les affiches publicitaires, objets qui poussent à la consommation, soient davantage accessibles au public que l’art, traditionnellement enfermé dans les musées et destiné à élever l’esprit.
Niki de Saint Phalle (1930-2002), à travers des œuvres monumentales comme le Jardin des Tarots en Toscane, a également contribué à rendre l’art accessible. En combinant architecture et sculpture, elle a créé un lieu où l’art devient un espace de bien-être et de liberté. Chaque sculpture du jardin représente une carte de tarot, symbolisant les différentes facettes de la vie humaine, et son œuvre, éclatante de couleurs, invite les visiteurs à entrer dans un univers joyeux et libérateur.
Enfin, Keith Haring (1958-1990), qui clôt l’exposition, rejoint cette idée d’un art accessible à tous en affirmant que « l’art n’est pas une activité élitiste réservée à l’appréciation d’un nombre réduit d’amateurs, il s’adresse à tout le monde ». À travers des œuvres simples et directes, Haring rend hommage à la démarche de Fernand Léger, en poursuivant la même volonté de rendre l’art populaire, inclusif et au service de la société.
Conclusion
L'exposition Tous Léger au Musée du Luxembourg met en lumière l’art de Fernand Léger et des artistes qu’il a inspirés, avec lesquels il partage une vision commune : rendre l'art accessible à tous. Ces artistes cherchent à affranchir l’art des codes traditionnels, le libérant des musées et le rendant moins intellectuel, afin qu’il puisse toucher un large public. Loin d’être réservé à une élite, l’art doit parler à tous, en abordant des thèmes de la vie quotidienne, de la modernité et de la classe populaire. En rompant avec les conventions, Léger et ses contemporains ont créé un art plus vivant et proche de la réalité, montrant que l’art peut être à la fois populaire, joyeux et accessible.
Article rédigé par Marie Naudy
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