Les Françaises et les Français continuent d’épargner massivement

 

l’inflation et les placements (Le Monde - 24/08/23)

 
 

Un article intéressant de Béatrice Madeline paru dans Le Monde du 24/08/23, avec une citation d'Aymeric Richard (Chartrons Patrimoine).

Les Françaises et les Français continuent d’épargner massivement. Ce sont désormais 547,4 milliards d’euros, un chiffre record, qui sont thésaurisés sur les Livret A et du LDDS, dont la rémunération réelle est pourtant inférieure à l’inflation.

En dépit de l’inflation qui grignote leur pouvoir d’achat et le rendement de leurs placements, les Français continuent d’épargner massivement. Le gel à 3 % du taux de rémunération du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire (LDDS), décidé au mois de juillet, n’a pas découragé les dépôts : durant ce mois, la collecte sur ces deux produits phares a atteint 3,13 milliards d’euros.

Ce sont désormais 547,4 milliards d’euros, un chi!re record, qui sont thésaurisés sur ces livrets réglementés, dont la rémunération réelle est pourtant inférieure à l’inflation − qui s’est établie à 4,3 % en juillet.

Un indicateur parmi d’autres de l’appétence des Français pour le bas de laine, au détriment de la consommation, qui reste en berne depuis le début de l’année. Au premier trimestre, les Français étaient à la tête d’un encours total d’épargne de 5 956 milliards d’euros, selon les chi!res publiés le 11 août par la Banque de France.

Sur le podium européen

En 2022, ce patrimoine s’était alourdi de 146 milliards, contre 100 milliards seulement en 2019. Non seulement les ménages n’ont pas touché à leur cagnotte « Covid », qui atteint la somme rondelette de 240 milliards d’euros, accumulés pendant la pandémie faute de pouvoir consommer, mais ils ont même accru leurs e!orts pour mettre de l’argent de côté.

« Le niveau d’épargne reste très élevé en France, entre 17,5 % et 18 % des revenus, un taux bien supérieur à la période avant Covid, où il n’était que de 15 % environ », analyse l’économiste Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne. « Ce sont bien sûr les ménages les plus aisés qui épargnent le plus – on estime que 20 % des plus riches réalisent 60 % de l’e!ort. Néanmoins, sept Français sur dix déclarent épargner chaque année. » Ce qui met les Hexagonaux sur le podium européen du bas de laine, juste derrière les Allemands, qui thésaurisent environ 19 % de leurs revenus.

Une situation qui contraste fortement avec celle qui prévaut de l’autre côté de l’Atlantique : loin d’économiser, les Américains, qui ont bénéficié de hausses de salaires plus fortes qu’en Europe, de l’impact des plans de relance massifs et qui témoignent d’un goût plus a#rmé pour le risque, sont revenus aux joies simples des emplettes. En début d’année, le taux d’épargne des ménages américains, qui avait atteint 16,8 % en 2022, était retombé à 4,8 %, presque quatre fois moins qu’en France. La consommation, alimentée par le crédit, est donc devenue le moteur de la reprise post-Covid. Rien de tel en France : selon les chi!res publiés mardi 22 août par l’Association française des sociétés financières, la production de prêts personnels et prêts à la consommation était en recul de 2,2 % en juin par rapport à juin 2022.

« Climat de défiance »

« La situation est assez singulière, décrypte Mathieu Plane, chef du département analyse et prévisions à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Tous les grands pays de la zone euro sont revenus à un niveau d’épargne inférieur ou égal à celui d’avant la pandémie, sauf la France et le Royaume-Uni. » C’est d’autant plus paradoxal que la hausse des prix devrait inciter les ménages à piocher dans leurs économies pour pouvoir maintenir leur niveau de consommation, comme l’ont fait les Américains par exemple, en vidant leurs bas de laine accumulés pendant le Covid-19.

D’autres éléments devraient en théorie conduire à une baisse du taux d’épargne, en particulier le niveau du chômage, relativement bas (7,2 %), et « l’e!et de richesse », c’est-à-dire la valeur des actifs épargnés, aujourd’hui plutôt élevée. « Dans cette situation, les ménages, considérant que leurs objectifs patrimoniaux sont atteints, devraient diminuer leur effort d’épargne », explique M. Plane

Philippe Crevel met en avant le « climat de défiance économique, politique et sociale » pour expliquer pourquoi les Français continuent de thésauriser plus que nécessaire. Cette prudence témoignerait d’un fort sentiment d’incertitude devant l’avenir, par exemple sur la question de la retraite. « Les attentes de mes clients sont assez variables, confirme ainsi Alexandra Nabet, conseillère en gestion de patrimoine (CGP) alliée au réseau Neofa, mais la problématique de la retraite fait partie des sujets qui reviennent le plus. Les gens cherchent comment se constituer un revenu complémentaire. »

« Dès 35-40 ans, certains de nos clients veulent commencer à préparer leur retraite : la demande de placements à long terme augmente, et les gens y consacrent une bonne partie de leurs économies », complète Frédéric Faivre, également CGP appartenant au même réseau. L’épargne accumulée sert aussi cet objectif : « Je vois très rarement des clients désinvestir pour consommer, précise Aymeric Richard, lui aussi conseiller en placements. Quand ils piochent dans leur épargne, c’est pour financer des projets structurants, comme l’achat d’une résidence secondaire. »

« Une nouvelle ère »

Au-delà de cette inquiétude, « on assiste peut-être aussi à l’émergence de nouvelles tendances structurelles en matière de consommation », ajoute M. Plane. Les appels à la sobriété, la nécessaire transition écologique peuvent inciter certains à changer leurs habitudes de consommation. Une autre explication est liée à la démographie, comme le rappelle M. Crevel, le vieillissement étant en général corrélé à une augmentation du taux d’épargne.

Sans compter que « nous sommes entrés dans une nouvelle ère, souligne Stéphanie Villers, conseillère économique auprès du cabinet PwC France et Maghreb. Nous avons vécu trente ans sans inflation : les gens ont totalement perdu leurs repères en matière de prix, ce qui peut expliquer leur frilosité face à la dépense ».

D’un point de vue macroéconomique, la propension à l’épargne n’est pas forcément une bonne nouvelle, au moins à court terme, puisque la consommation représente plus de la moitié du produit intérieur brut de la France. « Trois points de revenus épargnés en plus, c’est autant d’activité en moins », souligne Mathieu Plane.

A plus long terme, les choses sont un peu di!érentes. « L’épargne, c’est de l’argent pour demain », rappelle Philippe Crevel. Mais les économistes espèrent que l’année se finira sur une note plus favorable, le ralentissement de l’inflation incitant les ménages à desserrer un peu les cordons de la bourse, d’autant que le second semestre est traditionnellement plus propice aux dépenses, entre rentrée scolaire et fêtes de fin d’année.

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