Heinz Berggruen, un marchand et sa collection. Musée de l'Orangerie, Paris
Du 2 octobre 2024 au 27 janvier 2025
Pablo Picasso (1881-1973), Dora Maar aux ongles verts, 1936, huile sur toile, musée Berggruen, Berlin
Le Musée Berggruen à Berlin étant actuellement fermé pour travaux, l'occasion est donnée de faire une tournée internationale de la collection. L'une des étapes de ce parcours se déroule à Paris, ville où Heinz Berggruen a longtemps tenu sa galerie. L'exposition prend place au musée de l’Orangerie, un lieu particulièrement symbolique. En plus de sa proximité géographique avec la galerie Berggruen, située auparavant rue de l'Université, elle résonne également avec l'histoire du marchand et collectionneur. Le musée de l’Orangerie, issu à l'origine de la collection privée de Paul Guillaume, crée ainsi un parallèle intéressant avec le parcours de Berggruen, tous deux à la fois marchands visionnaires et collectionneurs passionnés. Ainsi, cette exposition ne se contente pas de présenter des chefs-d'œuvre de l’art moderne, elle invite également à réfléchir sur la manière de constituer une collection. Elle met en lumière la démarche du collectionneur-marchand visant à créer une collection cohérente et personnelle. Les visiteurs pourront découvrir des œuvres majeures de la peinture, du dessin et de la sculpture, témoignant du goût raffiné de Berggruen, qui s'est concentré sur une sélection d'artistes emblématiques du XXe siècle. Aux côtés des œuvres cubistes de Pablo Picasso, les visiteurs pourront apprécier les paysages abstraits de Paul Klee, les figures filiformes d’Alberto Giacometti, ou encore les collages colorés d’Henri Matisse.
Heinz Berggruen « J’étais mon meilleur client »
"Ma collection débuta de façon tout à fait modeste, aussi modestement que ma galerie, avant de devenir, au fil des années, une passion. Plus tard, il m'arrivait d'avoir l'impression que ma galerie n'était qu'un prétexte pour agrandir ma collection. Petit à petit, je devenais mon meilleur client. " Heinz Berggruen.
Né à Berlin en 1914 dans une famille juive, Heinz Berggruen étudie les lettres et l’histoire de l’art. En 1936, fuyant les persécutions nazies, il quitte son pays natal et s'installe aux États-Unis, où il travaille comme journaliste indépendant. Il obtient par la suite un poste au San Francisco Museum of Art, un tournant décisif dans sa carrière. Après la guerre, il retourne en Europe et fonde sa première galerie à Paris, sur la Place Dauphine, avant de la déplacer en 1952 rue de l’Université.
Berggruen se distingue par sa forte affinité avec certains artistes modernes et avant-gardistes qu’il soutient et présente dans sa galerie : Pablo Picasso, Paul Klee, Henri Matisse et Alberto Giacometti. Ces quatre artistes incarnent le modernisme et l’avant-garde du XXe siècle, et leur œuvre trouve une place de choix dans la collection de Berggruen. Passionné par le cubisme, il témoigne de son admiration pour Picasso à travers l’acquisition de nombreuses œuvres. Son affection pour Paul Klee est également notable, avec plusieurs pièces majeures de l’artiste dans sa collection.
Berggruen se caractérise par une passion obsessionnelle pour l'art, dans laquelle se mêlent les rôles de marchand et de collectionneur. Il aimait à dire qu’il était son « meilleur client », une manière de souligner la tension et le lien intime qu'il entretenait avec les œuvres qu’il acquérait. En 1980, après des années de succès, il ferme sa galerie. En 1996, Berggruen retourne à Berlin, sa ville natale, emportant avec lui sa précieuse collection pour en faire don à l'État allemand quelques années plus tard.
Le cubisme : un dialogue artistique
Passionné par le cubisme, Berggruen concentre une grande partie de sa collection sur ce mouvement artistique majeur. L'exposition s'ouvre ainsi sur des tableaux de natures mortes, où des objets tels que des bouteilles, des verres, des guitares ou des cartes à jouer remplissent l'espace, leur présence évoquant parfois des symboles profonds comme le passage du temps, la condition humaine ou la vanité. Parmi ces œuvres, on retrouve celles de Cézanne, souvent considéré comme le père des avant-gardes artistiques, mais aussi de Georges Braque et Pablo Picasso, les deux pionniers du cubisme. Le collectionneur s'intéresse aux différentes formes de cubisme : le cubisme analytique, caractérisé par le morcellement des plans, la multiplication des points de vue et la décomposition des objets, et le cubisme synthétique, qui intègre des éléments de la vie quotidienne dans les toiles, tels que des papiers de journaux.
La collection de Berggruen met en lumière les relations entre les artistes et les influences qu'ils exercent les uns sur les autres. Certaines toiles se répondent, que ce soit par leur sujet, leur teinte ou leur format, et témoignent d’un échange artistique fécond entre les artistes. Ainsi, l'œuvre Intérieur à Étretat de Matisse et Nature morte devant une fenêtre à Saint-Raphaël de Picasso illustrent l'interaction entre ces deux géants de l'art moderne. Ces deux tableaux, représentant un intérieur avec une fenêtre ouverte sur la mer, créent un « tableau dans un tableau », soulignant les échanges stylistiques entre Matisse et Picasso. De même, la technique du papier découpé, développée par Henri Matisse dans les années 1930, sera soutenue par Berggruen, qui la mettra en avant en 1953, contribuant ainsi à sa reconnaissance dans le monde de l’art.
La figure humaine : une exploration picturale
La seconde partie de l’exposition se concentre sur la figure humaine et le portrait, un domaine dans lequel Picasso, sans doute l’artiste le plus collectionné par Heinz Berggruen, occupe une place prépondérante. Ses toiles sont omniprésentes, s’étendant du début du XXe siècle, avec notamment le portrait de Jaime Sabartés de 1904, jusqu’aux œuvres des années 1950. Cette sélection permet de suivre l’évolution chronologique du style de Picasso, tout en mettant en lumière l’évolution de ses sujets de prédilection. Pendant sa période bleue, il recouvre ses toiles d’un voile bleu, à l’image de la mélancolie qui l’envahit après la mort tragique de son ami Carles Casagemas. Quelques années plus tard, l’artiste se tourne vers les figures du cirque, représentant des danseurs, des saltimbanques ou des arlequins. Sa maîtrise académique se révèle dans sa capacité à modeler les visages avec une palette de couleurs restreinte, simplifiant la forme humaine : les visages deviennent des ovales, les traits sont réduits à de simples courbes.
L’exposition dévoile non seulement des œuvres mais aussi la manière dont elles ont été regardées et collectées, illustrant le regard d’un collectionneur passionné et d’un marchand d’art avisé. Les œuvres de Picasso entrent ainsi en dialogue avec celles d’autres grands artistes, comme Giacometti, Matisse ou Klee. Tous, à leur manière, s’intéressent à la figure humaine dans sa globalité, l’utilisant comme un terrain d’expérimentation pour leur recherche picturale. Ces artistes interrogent l’anatomie et la place du corps dans l’espace : alors que Giacometti allonge les corps, Picasso les déforme, et tandis que Matisse efface la perspective, Picasso multiplie les points de vue. À travers ces explorations, le corps humain devient un manifeste artistique, une occasion de renouveler sans cesse les pratiques picturales et de redéfinir les contours de la représentation.
Paul Klee et l’abstraction
Bien que Heinz Berggruen ait principalement collectionné des œuvres figuratives, sa collection inclut également des toiles proches de l’abstraction, parmi lesquelles figure une série d'œuvres de Paul Klee. La dernière partie de l’exposition s'ouvre ainsi sur l'abstraction, avec une sélection d'œuvres de cet artiste, Berggruen ayant grandement contribué à sa reconnaissance dans le monde de l'art. Entre 1919 et 1933, l'Allemagne connait une période de profonde innovation artistique, notamment à travers l’école du Bauhaus, où Klee a enseigné. L’intérêt de Berggruen se porte particulièrement sur les œuvres de Klee produites pendant cette période, une époque où l’artiste fusionne abstraction et figuration, créant des œuvres dont les sujets ne deviennent identifiables qu’à travers leurs titres. Cette période témoigne également de l’appétence du peintre pour la musique et l’architecture, mettant en évidence l'influence croissante de ces disciplines dans son travail. Ses formes énigmatiques naviguent constamment entre le réel et l’imaginaire, entre la figuration et l'abstraction. À travers ce langage pictural unique, Klee cherche à saisir l’invisible, développant une approche où la forme se transforme en symbole et où chaque œuvre déploie une forte dimension poétique. La collection Berggruen met ainsi en lumière cette quête visuelle et intime de Klee, où chaque œuvre invite à un véritable voyage intérieur.
L’exposition se conclut par une dernière salle dédiée à la galerie de Heinz Berggruen et à son activité de marchand d’art. Au centre de cette pièce, trône un lustre en plâtre de Giacometti, prêté par le Centre Pompidou. Cet objet était suspendu dans sa galerie, comme en témoignent plusieurs photographies d’époque, et symbolise l’importance de cet espace dans le parcours du collectionneur et marchand.
Article rédigé par Marie Naudy
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